Billet éthique : Est-il sage d’étudier l’hydroxychloroquine dans la COVID19 sur le seul terrain hospitalier?

Est-il sage d’étudier l’hydroxychloroquine dans la COVID19 sur le seul terrain hospitalier?

Docteur Aurélie Dubreuil, dermatologue à Quimperlé

Membre de la cellule éthique de soutien de Vannes

L’étude clinique dirigée par le professeur Raoult, publiée par Gautret (1), vivement critiquée puisqu’elle n’était pas conçue selon les règles de l’art (elle ne portait que sur un petit échantillon de 20 patients atteints de COVID 19 (confirmés par PCR) et elle n’était pas faite en double aveugle cas-témoins), a entraîné polémique, peur irraisonnée du monde profane et indignation de leurs pairs experts en étude clinique. Or, une situation d’urgence sanitaire ne réclame-t-elle pas des prises d’initiatives inédites par des acteurs scientifiques « promoteurs » de leur intuition clinique, au plus près du terrain ouvrant ainsi la voie à des travaux de recherche thérapeutique nécessairement accélérés ?

C’est l’ANSM en France qui donne l’autorisation d’entreprendre un essai clinique. Il existe deux dispositifs accélérés d’autorisation d’essai cliniques (Fast Track) portant sur le médicament depuis le 15 octobre 2018 : soit l’accès à l’innovation, le fast track 1, portant sur un médicament simple nouveau avec délai d’instruction de 40 jours, soit le soutien au développement, le fast track 2, portant cette fois sur un médicament connu déjà utilisé en médecine dont le délai d’instruction est au maximum de 25 jours (2).

Avec l’hydroxychloroquine, élaborée dans l’entre-deux guerres par des chimistes allemands, on est assurément en terrain thérapeutique connu. D’abord antipaludéen de synthèse, cette molécule a dû être abandonnée progressivement du fait des résistances apparues dans les années 60, pour devenir un excellent traitement du lupus ou de la polyarthrite rhumatoïde. La prescription d’hydroxycloroquine est ainsi usuelle depuis des dizaines d’années pour les dermatologues, les internistes… qui soignent des patients atteints de lupus, une maladie dysimmunitaire de tropisme parfois purement cutané ou atteignant plusieurs organes. Rien d’anormal donc à la tester dans un cours délai dans le traitement d’une autre pathologie. N’oublions pas qu’au 14 mars 2019, le but de cet essai était de réduire la durée du portage du coronavirus SARS- CoV2 par les patients symptomatiques afin de réduire au plus vite les risques de transmissions.

C’est la connaissance des mécanismes d’action de cette molécule et celle de la pathogénicité du SARS-CoV2 qui permettent de penser qu’une  efficacité soit possible dans le traitement de la COVID 19. Si les stratégies thérapeutiques sont encore à confirmer ou infirmer, encore faut-il entreprendre ce traitement au moment opportun de la maladie. Il est clair par exemple que l’amoxicilline, antibiotique contre le streptocoque beta hémolytique A, doit être pris par le malade dès les premiers symptômes de l’angine et non pas deux semaines après, pour stopper au plus vite la multiplication bactérienne et sa propagation, qui entraînerait un risque de septicémie de pneumonie qui peuvent être mortelles…

L’hydroxychloroquine bloque les réponses lymphocytaires T à la stimulation par les mitogènes et inhibe la fabrication de cytokines, des TNFalpha facteur de nécrose tumorale et l’interféron alpha. Une étude a démontré son action positive antiSARS-CoV in vitro (3).

Le 20 mars 2020 le gouvernement français a donné l’autorisation de l’emploi de l’hydroxychloroquine contre le SARS-CoV2 uniquement chez des patients hospitalisés souffrant de formes graves de la COVID19, c’est à dire de patients ayant une évolution de l’infection virale depuis plus de 15 jours, des patients souffrants pour beaucoup de comorbidités responsables de défaillances cardiorespiratoires ou rénales ou des patients présentant une réaction excessive du système immunitaire, particuliarité biologique qu’on a appelé «orage cytokinique» responsable d’altération vasculaires délétères sur les fonctions vitales. Les premiers rapports observationnels mettaient en doute l’efficacité de la chloroquine dans le traitement du SARS- COV 2 et pointaient du doigt des effets secondaires cardiaques graves. Une autre étude elle aussi observationnelle (sans essai randomisé) vient de paraître dans le Lancet (5), menée par le professeur Mandeep Mehra, encore une fois hospitalière, encore une fois sur des patients au terrain fragilisé soit par les comorbidités soit par des réactions dysimmunitaires, gravement atteints par la COVID 19, confirmerait que l’hydroxychloroquine n’est pas un traitement approprié dans cette indication précise. « Covid-19 : une étude conclut que la chloroquine ferait plus de mal que de bien » résume par un titre accrocheur France 24, le 22 mai 2020 (4). Or n’existe-t-il pas un biais de recrutement des patients hospitalisés traités par hydroxychloroquine par rapport à ceux qui n’ont pas reçus le traitement, n’étaient-ils pas à un stade plus décompensé de la maladie ?

Mais qu’en est-il de son intérêt thérapeutique au stade initial de la maladie COVID 19, qu’en est-il de son intérêt pour réduire les risques de transmissions interhumaines, et donc sur la propagation, qu’en est-il des résultats et risques sur la population globale au terrain moins fragilisé ?

 

Le problème ne vient-il pas du fait que ce sont les médecins hospitaliers qui sont les seuls à avoir autorité pour mettre en œuvre des études cliniques. Quand il s’agit de l’urgence sanitaire, le ministère de la santé ne devrait-il pas réunir les hommes et les moyens nécessaires pour permettre aux médecins de premiers recours d’apprécier la balance bénéfice-risque d’une molécule dont ils ont le savoir-faire au quotidien ? Pourquoi mettre de côté ceux qui sont sur le terrain depuis le début de cette crise sanitaire, à savoir, les médecins libéraux et se priver de leurs compétences dès lors qu’il s’agit de participer aux études cliniques, ici en l’occurrence, les essais d’un traitement qu’ils connaissent très bien l’hydoxychloroquine sur les patients qu’ils connaissent aussi très bien, et surtout aux tous premiers jours de l’infection COVID 19 afin de vérifier si ces patients font moins de formes sévères, moins de formes mortelles, s’ils restent moins longtemps porteur du coronavirus et donc moins à risque de le transmettre?

Les autorités de santé aujourd’hui contestées ne méritent sans doute pas la colère soulevée par cette épidémie, mais l’inventivité administrative dont elles font preuve doit-elle être mise au même niveau que l’inventivité scientifique ?

Terminons cette réflexion par une remarque quant à l’orientation éthique de la science actuelle, c’est à dire une forme de point de vue que Pasteur n’aurait pas démenti : «la plupart des épidémies du passé ont disparu spontanément sans que nous ayons réellement compris qu’elle en était la raison, si ce n’est un changement d’écosystème, peut être une immunisation passée inaperçue. Aussi, l’élément de lutte essentiel contre ces maladies reste l’observation. » (6).

Références :