Billet éthique : Le confinement est il tant à craindre ? Effets psychologiques du confinement : Ne pas confondre le mal et son remède

Pr Guillaume Bronsard, Pédopsychiatre, CHRU de Brest, membre de la cellule de soutien éthique COVID19 du Finistère

Pour aider les individus en souffrance, il est tout à fait nécessaire de comprendre ce qu’ils vivent. Notre inédite période de « confinement » a des effets majeurs sur nous tous. Une première période a été associée à une importante anxiété, peut être moindre actuellement. Se mêlaient la peur de la maladie et donc de la mort, pour soi et ses proches, renforcées par une immense incertitude sur la façon dont nous pouvions être attaqués, associée à la perturbation massive de nos habitudes de vies, libres et consommatrices. Nous savions de plus que justement personne ne savait vraiment, y compris au plus haut niveau de nos dirigeants assez transparents sur le sujet, et que notre système n’avait pas assez de connaissances et de moyens en place pour garantir l’affaire. Avec un peu de recul et la perception de nos capacités à appliquer les mesures de protection et de réclusion, la peur de l’attaque virale est un peu mieux maitrisée, ce qui nous permet d’être moins perdus pour la suite.

 Il  est nécessaire de bien différencier ce qui est anxiogène voire traumatisant ou pas, pour mieux le combattre. A l’évidence la peur d’être malade entre dans cette catégorie des sources anxiogènes. Un agent toxique, potentiellement mortel est autour de nous, sans que l’on puisse facilement anticiper, repérer et comprendre son mode d’action.

Mais en est-il de même pour le confinement ? C’est bien probablement la cause du confinement, c’est-à-dire l’infection virale elle-même, qui est la source de l’angoisse plutôt que le confinement lui-même, qui au contraire pourrait l’apaiser.

Le confinement est un empêchement de mouvement libre des individus. L’empêchement est ici non total puisque des dérogations pratiquement accessibles à tous, quotidiennement, existent. Par ailleurs, cette contrainte est imposée à tout le monde, temporaire, pour l’instant non discriminante, et pour une cause commune : combattre un mal extérieur.

 Le confinement à domicile est certainement vécu de façon non uniforme. Les conditions matérielles et domestiques ou encore la préservation de sa source de revenu ou non ont une influence évidente sur la réalité vécue,  comme l’existence de troubles préexistants, notamment psychiques, empêchant une compréhension, ou encore la restriction de soins réguliers. Et encore plus, le fonctionnement fondamental de la famille à laquelle on appartient. Certaines situations sont à l’évidence très défavorables (certains d’entre nous sont même seuls) voire désastreuses en particulier dans les situations de fonctionnement familial violent et pathologique.

Il faut pourvoir repérer ces situations et tout faire pour les améliorer par nos actions citoyennes ou professionnelles. Mais ces situations sont très minoritaires. L’immense majorité des gens ont une famille sur laquelle ils peuvent (ou croient pouvoir) compter et pour laquelle ils comptent. Et avec laquelle ils se retrouvent, au moins en partie.

Considérer a priori le confinement comme anxiogène et traumatisant en soi comme cela est très facilement évoqué, correspondrait à penser que la famille est un espace principalement toxique, étouffant, sans vertu particulière, et tolérable uniquement à « petite dose ». Cela serait considérer que la menace est finalement plus « intérieure » qu’« extérieure ». En plus de cette approche exclusivement péjorative de notre groupe familial,  cela serait aussi considérer au niveau individuel que l’empêchement de mouvement personnel libre au-delà d’une heure par jour et d’1 km serait à notre esprit insupportable et effondrant ?

Notre idéologie, notre culte libertaire et libéral nous laisse sans recul sur sa perturbation. Etre contraint à ne pas faire ce qu’on veut et quand on veut, être soumis à une dynamique familiale,  pourrait être psychiquement grave voire traumatique ?

L’idée que le confinement et ses contraintes pourraient être traumatisants est fausse et correspond à une posture libertaire et individualiste radicale et naïve discordante avec notre vécu intime.

L’inverse est même vrai. Etre contraint et contenu peut-être rassurant. En cas de menace perçue, le réflexe individuel et collectif allant de soi est de se protéger, c’est-à-dire mettre autour de soi des protections matérielles qui nous défendent mieux que notre corps lui-même. Et c’est même l’impossibilité de se protéger, c’est-à-dire de pouvoir se retirer  si possible avec les siens, qui devrait être anxiogène. On entend d’ailleurs de nombreux discours évoquant que malgré une annonce de réouverture des écoles et d’autres activités à la mi-mai, on se maintiendra chez soi quand même.

Nous sommes tout à fait capables de restreindre nos mouvements et nos consommations (et même de subir cette restriction) et de rester en famille sans en être traumatisés. C’est le contraire qui serait bien une inquiétante anomalie. Un confinement peut être bienveillant et bien vécu.

Il ne peut être en revanche durable et total. La liberté, l’épanouissement, la vie de façon générale a besoin de l’extérieur, de rencontres, de découvertes. Et ce malgré les risques ordinaires, irréductibles mais indéniables de l’extérieur que sont les accidents, les agressions, les échecs sociaux. Ces risques ordinaires sont en fait nécessaires et colorent notre vie par la nouveauté qu’ils permettent. On ne doit pas s’y soustraire. Mais lorsque que les risques sont potentiellement grands et de forme mal connue, le repli, temporaire, est certes gênant, pénible ( et dans certains mais rares cas très difficile) mais il n’est pas traumatisant. Et pour notre situation, ce sont bien les formes graves de la maladie et la possible mise en face au décès de proches (parfois même sans pouvoir s’en approcher) qui sont éventuellement traumatisants. Pas le confinement.

Le déconfinement n’aura de même pas de vertu de mieux être, ni de libération, en soi. Il n’en aura une qu’à la condition d’avoir appris à vivre avec la menace si elle est toujours là, ou bien que celle-ci ait disparu.